L’artiste messager Il est des messagers qui ne sont que des facteurs, des préposés, sans doute pas sans âme, mais surtout sans lien avec le message qu'ils portent. Toutefois, à leurs corps défendant, ils deviennent bouc émissaire lorsque le message prend signification pour le receveur, au cri de « malheur au messager ». Peut-on plaindre celui qui meurt sans connaître la portée du message qu'il délivre. D'autres fois, le messager n'est pas que celui qui porte le message. Il n'est pas un acteur anonyme, étranger à la communication. Le messager « est » le message. Il en est ainsi de l'artiste, qui non seulement porte le message, mais en est aussi le rédacteur, le concepteur , le créateur. Sa création est le reflet de ses pensées, ses idées, ses pulsions, ses émotions. Qui mieux que lui peut donner sens au message qu'il délivre, surtout lorsque son œuvre ne fait pas référence aux standards de l'esthétique, aux canons classiques, ou à la mode du moment. Qui mieux que lui, peut parler de lui, traduire son langage, parfois si intime qu'aucun mot du langage courant ne peut exprimer.
Impressions d’exposition Étrange, je suis là, oui là, près de la porte d'entrée de l'expo, assis, tranquille, serein même. Un courant d'air tiède pénètre et vient se mêler à la fraîcheur du local. Peut-on rêver plus tempéré que cet équilibre parfait entre le souffle de la nature et l'atmosphère fermée de la salle. Je me réjouis de cet instant privilégié d’homéostasie spontanée. Mon regard se baguenaude d'une œuvre à l'autre, une ballade « pépère », zen au possible, d'une coulée de forme à une cataracte de couleurs, d'un visage expressif aux mystères de lignes sans fin. Mes sens naviguent chaotiquement d'un tableau à une sculpture. Soudain, une bouffée émotionnelle monte de mes tripes. Ma gorge se serre, j'ai l'impression que quelque chose d'important va arriver. Pourtant tout est rassurant ici, pas encore de visiteur. Je suis seul, mon partenaire est à l'autre extrémité de la salle. Je sens une présence, intense, pénétrante. J'élargis mon champ de vision, sans bouger les yeux j'observe sur les cotés. Aucun être vivant, mais les toiles peintes, les pierres travaillées, se mettent en mouvement. Mes sens sont sollicités de toutes parts, l'énergie, la passion, la douleur que les artistes ont chargées dans leurs œuvres me parviennent toutes en même temps. Je me rassure, il ne s'agit pas d'une menace, c'est un excédent de vie...
Pulsion créatrice Tout d'abord un flash, peut-être à n'importe quel moment de la journée, mais souvent entre 4 et 5 heures du matin, cet instant pendant lequel la conscience côtoie les sombres abîmes de l'esprit. Cet espace intemporel s'amalgament les images précises de mes sens en éveil et la reconstruction subjective du monde réel. Puis la matière se rassemble, prend forme, une forme, puis une autre, se transforme en film. Rien n'est stable. Ce qui paraît prendre sens, soudain se désagrège, et de nouveau, émerge du magma une autre proposition. Enfin une esquisse se devine, quelques formes, des lignes, des couleurs, une ambiance, prennent place, le mouvement se ralentit, et le rêve devient rêve, jusqu'au matin. Tout au long de la journée, il reste tapi, derrière les gestes du quotidien, au secret, venant perturber mon attention sur mes tâches et mes relations aux autres. « Tu as l'air préoccupé ?». « Non, non je pense à un truc mais je ne saurais dire quoi. J'ai fais un rêve, j'en garde une impression bizarre. Quelque chose qui demande à sortir. C'est pressant, confus et clair à la fois. Il suffirait d'un rien pour que cela émerge ». Les jours passent et les nuits aussi. L'entité est en mouvement, elle devient plus présente. Elle encombre mes pensées, devient force qui pousse la porte de la conscience, ne demande qu'à exister. Puis, combien de temps après sa naissance, elle s'éclaire et elle est « là », comme une évidence. Une pensée, une idée pure, parfaite, juste à concrétiser. Cette fois, elle s'empare de mon quotidien. Elle ponctue chaque intention et, chacun de mes actes est empreint de cette idée. De nouveau j'entends cette interrogation « tu as l'air préoccupé ? ». En vérité c'est pire c'est un besoin irrépressible, une pulsion grandissante qui frise l'obsession. Seul moyen de la calmer c'est de s'emparer d'un outil, burin, masse, pinceau, couteau, pierre, peinture et de se jeter dans l'ouvrage. Laisser l'élan devenir force créatrice. Laisser la pensée brute se calmer, s'auto- réguler. Attendre de voir se matérialiser l’œuvre avec toute sa beauté, ses équilibres et ses imperfections. Voir, enfin, apparaître dans la lumière et la matière, cette inconnue de la nuit.
L’oeuvre impossible (ne laissez pas s'endormir vos rêves) Voila un mois que je m'y casse les dents. Je suis, trop souvent à passer devant et ne pas y toucher. Allez cette fois je m'y colle et je ne décroche pas. Ce n'était, pourtant qu'une formalité, choisir un format de toile, disposer de 2 à 3 heures sans obligation administrative ou alimentaire. Un après midi, de préférence, comme ça, je pouvais goûter, en prenant l'apéro du soir, au plaisir de contempler l’œuvre. Celle qui était installée, depuis des années, dans un coin de mon esprit. Celle qu'un jour je réaliserai d'un jet, après une longue période de maturation. Tout y était : sujet, couleurs, lumières, personnages, ambiance, même l'émotion, surtout l'émotion. Ce n'était pas une simple peinture, ce devait être un déclencheur d'émotions. Lorsque je l'ai perçue la première fois, j'étais tellement enthousiasmé, qu'il ne pouvait pas en être autrement pour le spectateur qui la verrait. Chaque fois qu'elle me revenait en mémoire, je ressentais ce nœud au creux du ventre. Alors pourquoi prendre autant de temps pour la réaliser. Cette fois, c'est décidé, je m'y mets. Je choisis un format 20 F, j'ai plus de deux heures de libre. Mon rêve va enfin devenir réalité. Ce n'est plus dans un coin de mon esprit qu'elle va trôner cette toile, mais dans mon salon ou sur les murs d'une salle d'exposition. Et nous vibrerons ensemble, le public et moi, à la contempler. Elle ne sera, sans doute, pas à vendre, collection privée. « Ah, dommage pour vous.. », dirai-je. Déjà deux heures passées à réaliser le fond, quelques lignes repères et une esquisse de personnages. Bizarre, c’est tout ce que j'ai fais, pendant tout ce temps. Pire encore, c’est le doute qui s'installe sur la suite. Moins de certitude sur la réalisation, pourtant quelques coups de pinceaux rapidement appliqués font apparaître le sujet. Le rêve est la, tout près. Encore une séance et ce sera l'aboutissement... Une deuxième séance de 2 à 3 heures, et l'angoisse monte. Je passe et repasse devant la toile et l'image de mon esprit n'est toujours pas là. Je prends un crayon, un papier, recompose les éléments, plus petit, plus grand. Les lumières d'où viennent-elles ? De toutes façons, chez moi, c'est tellement souvent en haut à droite, le problème n'est pas là. Ah, ça y est, j'ai trouvé, quand je peins ça brille, or c'est sec et terne, est-elle l'émotion dedans. Je passe et repasse de nouveau devant, je vais abandonner, d'autres sujets m'envahissent et poussent celui-ci du salon à la cave... Ah, non pas question d'abandonner. Ok, ça va pas, alors je recommence tout. Une toile vierge, toujours 20 F, j'applique le fond, léger cette fois, je bouscule la composition, j'essaie les personnages de trois quart, de profil plutôt que de dos. La lumière vient de face cette fois. Ça plus petit, le reste plus grand, ou inversement, oser tout bousculer.... Deux heures plus tard j'ai plus avancé que sur le premier tableau. Malgré tout il y a quelque chose qui ne « colle pas ». Lumières, couleurs, ambiance, sujet, tout est malléable à volonté. Il ne manque que le liant : l'émotion de départ. A trop exposer l'idée originelle dans le salon de mon esprit, à la contempler tous les jours comme une icône, je l'ai usée. La magie de la créativité s'est dissoute avec le temps. L’œuvre est devenue impossible. Il faudra attendre qu'un nouveau rêve la reconstruise.
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