Le jour où Dieu… J'habite une maison de ville, dont la porte donne directement sur la voie publique. Aussi, chaque fois que je sors de chez moi, je marque un temps d'arrêt en posant mon pied sur le trottoir, et m'assure à droite et à gauche qu'un piéton ne survient pas. Ce jour là, plus pressé que d'habitude, je ne pris pas cette précaution. Je jaillis sur le trottoir sans un regard de coté, me penchais en arrière et tirai brutalement la porte pour la claquer. Je m'y repris à deux fois avec plus d'élan la seconde. Ainsi, je pris beaucoup plus de place sur le trottoir. A peine fini mon mouvement de fermeture, je sentis une présence au bord extrême de ma vision. Un homme se tenait là, visiblement interrompu sur son parcours par ma gymnastique de clôture de porte. Je bredouillais quelques mots d'excuses banals. Mais il n'y répondit pas. Il me regardait avec beaucoup d'intensité. Un trouble m'envahit, je pensais l'avoir profondément perturbé par mon attitude et ouvris la bouche pour m'excuser de nouveau plus distinctement. Il me devança et me dit "vous ressemblez à mon fils". Décontenancé par cette remarque je dis "c'est possible, toutefois mon père est décédé il y a maintenant cinq ans et je suis sur d'être son fils". "Comment s'appelle votre mère ?" reprit-il. Je sentis immédiatement que j'avais à faire à un de ces nouveaux dispositifs d'accroche commerciale et qu'il allait sans tarder essayer de me fourguer une assurance décès au nom de ma mère. "Peu importe son nom", précisais-je "je n'ai pas besoin de quoi que ce soit". Ma répartie assez violente n'eut pas l'air de l'émouvoir. il restait impassible et me fixait toujours avec la même intensité. Curieusement l'idée d'avoir affaire à un agent d'assurance disparue immédiatement. J'étais intrigué par ce regard et son maintien. il était grand et ses vêtements ne paraissaient pas être à sa taille. Il semblait âgé mais l'énergie qui transpirait de son attitude avait une puissance juvénile, ou devrais-je dire adolescente, pleine de retenue, en devenir. Me sentant en confiance je m'entendis lui dire spontanément "ma mère se nomme Aglaé Martin". "Ah, en effet je n'ai jamais connu votre mère". Il continuait à me regarder. Son introspection me mettait mal à l'aise, en même temps j'y sentais de la douceur, oserais-je dire de l'amour. Le temps passait, nous étions face à face en pleine rue, muets, soudés par un indéfinissable lien. "Je cherche mon fils depuis si longtemps et vous lui ressemblez tant que j'espérais ma quête enfin terminée avec notre rencontre. De nombreuses fois, j'ai cru l'avoir retrouvé, mais ce n'était pas lui. Pourtant toutes les personnes qui lui ressemblent avaient comme vous son regard, la même curiosité sur le monde, la même innocence, une candeur infinie et une promesse de bonté inépuisable". "Vous le cherchez depuis combien de temps". "Je ne sais plus, deux mille ans, plus peut-être, toujours sans succès". "Je l'ai envoyé ici pour accomplir ce qui devait être un miracle, et il devait revenir quelques dizaine d'années plus tard". Un vertige me prit, mes genoux fléchirent "est-ce possible ?" bredouillais-je. Puis une lueur de conscience s'insinua en moi et j'ajoutais "Comment s'appelle votre fils ?" "Jésus " répondit-il. "Mais vous voyez bien que je ne ressemble pas à Jésus ", m'écriais-je "avec ma calvitie marquée, mon costume cravate, mon visage glabre, mes soixante quinze kilos et mon mètre soixante dix. Lui était grand, maigre, les yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, et ses vêtements étaient très amples". Il sourit, puis dit "il s'agissait de l'apparence et des habitudes costumières locales de l'époque. S'il venait pour la première fois aujourd'hui, il vous ressemblerait ou ressemblerait à chacune des personnes que j'ai rencontré jusqu'à maintenant depuis tout ce temps". Je m'interrogeais, "était-ce possible que ce personnage planté devant moi soit Dieu à la recherche de Jésus ?". Cela allait à l'encontre de tout ce qu'on m'avait dit pendant mon enfance. L'idée d'un agent d'assurance m'effleura de nouveau. Mais donc, les commerciaux allaient-il puiser leur inspiration pour vendre leurs salades ?". Ce regard en face de moi ne pouvait pas tromper, il contenait trop de pureté, de sincérité. Il fit mouvement vers l'arrière comme à regret, toutefois je sentais de la reconnaissance et du respect dans son attitude, et une résignation patiente pleine d'espoir. "Combien de fois avez-vous cru le retrouver ?". "Quelques milliards, mais que des bribes, des éclats, des fragments". Une lueur de lucidité m’apparut et je lui dis "une part de votre fils est en chacun de nous, et il lui reste encore tant de personnes à rencontrer que votre quête est sans fin". Il sourit, se détourna et partit, non sans m'avoir fait promettre de relater cet événement pour témoigner de son existence. Le jour où Dieu me rencontra...