Marathon
…
Ne
pas…
pas
fléch…
chir…
200…
200
mètres…
Hou…
Houssene….
J’arrive…
sur
lui…
10…
enco…
re
10
mètres…
oui…
il
se
rapp…
approche…
effluves…
fluves…
anim…
nimales…
toc,
toc…
toc,
ploc…
ploc,
ploc…
pas…
son
pas…
lourd…
passer…
je
vais…
vais
passer…vois…
je
vois…
ligne…
à
côté…
lui…
je
pass…
pousse
…
pousse
encor…
encor
plus…
ça
viens…
calme…
pousse…
ça
va
passer…
battre…
record…
encore…
150…
Encore
150
m…
Houssene…
Oui
je…
je
passe…
entends…
il
s’éloig…
souffle
court…
ploc,
ploc…
diminue…
120
m… 120 encor…
Philippe
Quidès
se
sentait
des
ailes.
Encore
quelques
mètres
et
la
victoire
à
ce
marathon
de
Paris,
serait
la
quatrième,
après
Berlin,
New-York
et
Londres.
Pour
Philippe,
issu
de
milieu
modeste,
ce
triomphe
serait
l’aboutissement
de
sa
jeunesse
dédiée
uniquement
à
l’effort
loin
des
loisirs
et
des
plaisirs
faciles.
Forcément
cette
volonté
de
réussir
le
conduisait
à
s’isoler
des
autres.
Dans
l’équipe
de
France
il
n’avait
pas
d’ami,
juste
des
compatriotes
ou
des
collègues
de
circonstance.
Il
fut
vite
catalogué
comme
un
« ours »,
même
si
l’on
reconnaissait
ses
qualités
de
coureur
de
fond
et
le
haut
niveau
qu'il
avait
atteint.
Il
ne
lui
manquait
qu’une
petite
pointe
de
sociabilité
et
tout
aurait
été
différent.
Belle
gueule,
un
corps
de
coureur
longiligne,
musclé,
bien
équilibré,
il
ne
laissait
pas
indifférent
les
femmes
qu’il
croisait.
Quelques
audacieuses
avaient
joué
de
leur
séduction
naturelle,
mais
la
liaison
qui
avait
suivi
avait
été
de
courte
durée.
Certaines
rumeurs,
laissaient
entendre
« la
compagnie
des
femmes
ne
l’intéresse
pas,
si
vous
voyez
ce
que
je
veux
dire… ».
Ne
sont-ce
pas
ces
points
de
suspension
de
ceux
qui
manquent
de
courage
qui
sont
à
l’origine
de
toutes
les
rumeurs ?
Eh
bien
non,
Philippe
Quidès
était
simplement
un
besogneux
du
sport
dans
lequel
il
avait
décidé
de
se
consacrer,
pour
réussir
à
arriver
au
plus
haut
niveau.
Peu
lui
importait
la
jalousie
de
ceux
qui
veulent
bien
mais
qui
ne
peuvent
pas,
plus
par
manque
de volonté et de courage que par malchance.
Les
rares
Athéniens
que
Philippidès
avait
croisés
depuis
quatre
heures
s’étaient
interrogés
sur
ce
qui
motivait
ce
soldat
à
courir
aussi
vite.
Le
diable,
s'il
avait
existé
à
cette
époque,
était-il
à
ses
trousses ?
Encore
couvert
du
sang
de
l’ennemi,
de
celui
de
ses
compagnons
et
du
sien,
qui
avait
giclé
en
tous
sens
dans
la
mêlée
du
combat.
Des
croûtes,
agglomérats
de
sueurs,
de
poussières
et
de
chairs,
recouvraient
son
corps
et
son
visage
de
sombres
plaques
inquiétantes.
Depuis
plusieurs
kilomètres,
il
avait
abandonné
son
épée
et
sa
tunique
de
cuir.
Le
pilum
était
resté
planté
dans
le
corps
d’un
Perse, et son bouclier enseveli sous un amas de corps grouillants.
Philippidès
s’était
délesté
du
reste
de
ses
vêtements,
il
ne
lui
restait
plus
que
ses
sandales,
dont
les
lanières
serrées
au
plus
juste,
dès
le
départ,
lui
rentraient
dans
la
chair.
Chaque
mouvement,
chaque
choc,
chaque
foulée
faisaient
jaillir
des
gouttelettes
écarlates.
Dans
le
haut
du
ciel,
un
vampire
affamé
aurait
facilement
trouvé
la
direction
de
ce
repas
potentiel.
Le
temps
passait
et
le
nectar
de
sa
vie
quittait
progressivement
ce
flacon
sautillant
dont
la
rage
d’arriver
restait
imprimée
sur
ses
traits.
Quatre
heures
déjà
que
le
soleil
avait
pris
possession
de
l’air
qui
embrasait
l’intérieur
du
coureur
à
chaque
inspiration.
Des
dégâts
irrémédiables
altéraient
les
membres
de
Philippidès.
Sa
foulée
souple
et
féline
(qui
lui
avait
procuré
quelque
admiration
des
femmes),
ferme
au
départ,
n’était
plus
qu’un
déhanchement
de
pantin,
mi-crabe,
mi-araignée.
Une
vive
brûlure
consumait
ses
nerfs
dans
les
moindres
recoins
de
son
corps.
Philippidès,
absent
de
cette
somme
de
douleurs,
devinait
au
travers
du
voile
rouge
tendu
entre
ses
paupières,
les
toits
des
premières
maisons
d’Athènes.
Des
masses
grises
surgissaient
au
hasard
des
volutes
de
poussière
que
sa
course
provoquait.
Deux
silhouettes
humaines
commençaient
à
se
fixer
à
son
horizon :
balai
brosse
sur
le
sommet,
diamants
noirs
aux
éclats
rageurs
aux
fonds
des
orbites
sombres
protégées par les casques.
La
force
d’une
armée,
c’est
le
respect
scrupuleux
des
consignes.
Les
deux
hoplites
de
garde
à
l’entrée
de
la
cité
n’avaient
jamais
failli
aux
ordres.
Lorsqu'une
personne,
même
connue,
se
présente
à
la
porte
de
la
cité,
la
consigne
veut
que
l’on
s’interpose
côte
à
côte,
les
lances
vers
l’avant,
horizontalement
à
hauteur
du
thorax.
Le
jeu
dans
toute
les
troupes
grecques
de
l’époque,
que
l’on
soit
seul
ou
en
groupe,
était
d’arriver
à
grande
vitesse
face
aux
lances
et
de
s’arrêter
net
à
cinquante
centimètres,
comme
une
Formule
1
à
son
stand
de
ravitaillement,
aux
injonctions
des
gardes,
de
décliner
son
identité
et
le
motif
de
sa
venue,
même
si
c’était
un
parent
ou
un
ami
bien
connu
des
gardes.
Cet
échange
rituel
étant
terminé,
tout
le
monde
éclatait de rire et échangeait des accolades de bienvenue.
Philippidès
revigoré
par
la
vue
des
abords
de
la
cité,
passa
la
surmultipliée
et
accéléra singulièrement.
Arakidès,
l’un
des
gardes,
reconnu
la
foulée
particulière
de
Philippidès,
bien
qu’elle
fut
altérée
par
un
déhanchement
prononcé,
et
distingua
nettement
son
sourire
sur
cette
face
fantomatique
déformée
par
la
douleur.
La
consigne
est
la
consigne,
Arakidès
et
son
collègue
se
positionnèrent
épaule
contre
épaule
et
jubilaient
intérieurement
à
l’avance
du
plaisir
qu’ils
auraient
à
féliciter
Philippidès
d’avoir
stoppé
net
devant
les
lances,
avant
d’échanger
le
rituel d’interrogations.
Le
chemin
de
Marathon
qui
menait
à
la
mer,
était
emprunté
par
un
grand
nombre
de
personnes,
civils
et
militaires,
et
d’animaux,
chèvres,
moutons,
chevaux.
La
récente
chaleur
l’avait
rendu
très
sec
et
les
nombreux
passages
avaient
transformé
la
terre
en
poussière.
Des
cailloux
nombreux
émergeaient
et blessaient les pieds des hommes et les soles des bêtes.
Philippidès
n’en
avait
cure,
les
seuls
attributs
qu’il
portait
encore
étaient
ses
sandales
de
combat
que
le
façonnier
de
la
caserne,
Adidès,
avait
ajustées
à
son
pied
comme
il
le
faisait
pour
chaque
soldat.
Depuis
plusieurs
heures,
le
cuir
des
sandales
absorbait
les
chocs
et
les
déchirures
provoquées
par
les
angulosités
des
pierres
de
la
route,
de
plus
en
plus
nombreuses
aux
portes
de la ville.
Une
ultime
arête,
plus
acérée
que
les
précédentes,
coupa
net
la
lanière
de
la
sandale
droite
de
Philippidès.
À
ce
moment,
il
avait
décidé
que
cette
foulée
serait
la
dernière
et
que,
respectueux
des
règles
militaires,
il
s’arrêterait
instantanément
à
cinquante
centimètres
des
pointes
de
bronze
tendues
vers
lui
comme
des
bras
accueillants.
Il
voyait
là
l’ultime
consécration
de
l’athlète,
capable
de
courir
plus
de
quarante
kilomètres
au
maximum
de
sa
puissance
physique
et
de
s’arrêter
instantanément
par
la
seule
force
de
sa
volonté.
En
un
éclair
il
prit
conscience
du
haut
niveau
de
civilisation
atteint
par
les
Grecs,
et que rien dans les temps à venir n’égalerait.
Son
pied
droit
transpirant
et
maculé
de
boue
ensanglantée
glissa
sur
la
semelle
de
sa
sandale,
le
lien
principal
ne
la
maintenant
plus.
Sa
jambe
continua
sa
course,
suivie
de
son
corps
qui
vint
s’empaler
sur
les
deux
lames
de bronze. Dans son dos surgirent deux ailes rouges tel Pégase rougeoyant.
Sous
la
surprise,
Arakidès
et
Paramidès,
les
deux
hoplites
de
garde,
lâchèrent
leurs
lances
et
Philippidès
s’effondra.
Arakidès
se
pencha
sur
lui,
et
l’entendit distinctement prononcer, dans un dernier souffle « nenikamen »*.
Philippe
Quidès,
sportif
de
haut
niveau,
mais
aussi
homme
curieux
d’Histoire
n’en
connaissait
pas
tant
de
l’épopée
de
Philippidès.
Même
s’il
en
avait
su
d’avantage,
sa
préoccupation
du
moment
était
ailleurs.
À
soixante
dix
mètres
de
l’arrivée,
Houssene
Malimba
le
kényan,
était
à
portée
de
main
de
Philippe.
Celle-ci
effleurait
presque
le
coude
d’Houssene.
Entré
dans
sa
sphère,
l’odeur
était
extrême.
Attentif
au
souffle
court
de
l’adversaire,
Philippe
sut
instantanément
qu’il
devait
accélérer.
Toute
douleur
l’avait
abandonné.
Encore
cinquante
mètres
et
cette
quatrième
victoire
de
marathon
serait
à
lui,
ainsi qu’un nouveau record personnel.
Houssene
disparaît
de
son
champ
de
vision
par
la
gauche,
l’odeur
des
corps
reste
mêlée
quelques
instants,
trente
mètres
encore.
Philippe
perçoit
de
nouveau
le
souffle
haletant
du
kényan.
Dans
un
ultime
sursaut,
celui-ci
est
parvenu à recoller, mais reste à la remorque, trois mètres derrière Philippe.
À
quatre
mètres
de
la
ligne,
le
français
pousse
un
hurlement
et
se
projette
en
avant
pour
rompre
le
ruban
de
la
poitrine.
Son
pied
droit
part
en
avant,
le
genou
fléchit
et
le
corps
suit
vers
le
sol.
Houssene
emporté
par
l’élan,
ne
peut
éviter
Philippe
et,
épuisé,
incapable
de
sauter,
lui
laboure
la
poitrine
et
tombe
sur
le
fil
de
la
victoire.
Philippe
roule
à
terre
et
passe
la
ligne
deux
centièmes de seconde derrière Houssene Malimba.
Aujourd’hui
Philippe
Quidès,
ne
court
plus.
Après
cet
accident,
les
journaux
l’ont
traîné
dans
la
boue.
Ses
détracteurs,
naguère
commercialement
souriants
n’ont
pas
manqué
de
lui
tresser
une
réputation
d’asocial
ambitieux
prêt
à
tout
pour
réussir,
quitte
à
laisser
gagner
un
adversaire.
« Vous
pensez
bien
qu’il
a
du
être
acheté,
perdre
ainsi
à
un
mètre
de
l’arrivée
c’est
voulu… ». Ah ces cruels points de suspension, quelle arme terrifiante.
Plus
aucun
organisateur
n’accepte
sa
demande
d’inscription.
Les
marques
qui
le
sponsorisaient
ont
rompu
rapidement
les
contrats,
même
la
marque
de
chaussures
de
sport
de
renom
qui
lui
créait
des
équipements
à
sa
mesure
l'a
abandonné.
Le
modèle
que
portait
Philippe
ce
jour
là,
a
été
retiré
du
marché
lorsque
les
techniciens
ont
constaté
une
faiblesse
de
liaison
entre
la
semelle
et l’empeigne, à l’origine de la déchirure soudaine au moment de l’effort.
Mais, de cela, personne n’a été informé.
* « Nous avons gagné »