Le plagiaire Je peste, je fulmine. A peine ai-je commencé à me lancer dans la lecture de ce roman, que je découvre une histoire que j'ai imaginé et que je rêve d'écrire. Avec cet auteur c'est toujours la même chose. A croire qu'il lit en permanence dans mon esprit. C'est pas grave, parce que ça doit lui demander du temps pour tout déchiffrer, alors que pour moi c'est quasi instantané. D'ailleurs ses bouquins avec mes histoires ne sont publiés que 3 ou 5 ans après que l'idée me soit venue. Le problème c'est que lui les écrit, alors que moi je m'extasie de ma créativité et suis incapable de noircir plus de deux pages. L'écriture de mots me pompe la pensée. Je dois attendre que le réservoir se remplisse de nouveau, et quand la pression devient trop forte je me jette sur le papier et m'échine à masquer le blanc de la feuille. Plus j'écris serré, plus mon énergie se concentre sur la page, plus les idées agglomèrent et plus je me vide ma substance.....(là, le vide). Pendant ce temps, l'autre lit en moi comme dans un livre ouvert et me copie. Je devrais faire des fautes de pensée, des erreurs d'idée, et on verra ce que la critique dira de ses romans. Bon, je tiens un une bonne idée, je vais l'altérer ainsi et il en sera pour ses frais, il va se casser les dents à essayer de comprendre. Quant aux autres histoires que j'ai en cours, je vais les camoufler. Je vais faire semblant d'écrire mais ce sera incohérent, puis en parallèle, de l'autre main, par exemple, j'alignerai mes idées sur un support sans en avoir l'air. Pourquoi pas en sifflotant , comme si j'étais en train de ma balader, les mains dans les poches. Je pourrai aussi, écrire en regardant un film, ainsi le scénario se mélangerait à mes pensées et elles deviendraient indéchiffrables. Peut-être pour moi aussi, après coup, allons bon ce n'est pas une bonne idée. A moins d'écrire son histoire, celle d'un roman qu'il n'a pas encore écrit, que j'écrirai en même temps que lui. Ça y est c'est parti, j'ai intérêt à foncer, c'est qu'il est bon le bougre. Il écrit comme il respire et il ne se met jamais en apnée, alors que moi j'étouffe. J'ai remarqué que le flux de mes pensées variait avec mon rythme respiratoire. J'inspire, c'est le noir, j’expire, et ça me dégringole dessus comme de la vaisselle mal rangée dans le haut d'un placard lorsqu’on ouvre la porte sans précaution. J'ai même pas le temps d'écrire. Pourtant cette phrase semble prouver le contraire. Oh la la qu'est-ce qui se passe ? C'est la pensée de l'autre qui doit m'envahir. Le salaud, non seulement il me vole, mais en plus il me viole. Y-a plus de morale d'écrivain. « Dans le temps », les auteurs avaient des pensées nobles et pures, et ils mettaient en scène des personnages qui portaient leurs valeurs. Je vais me monter un personnage irréprochable, paré de toutes les vertus, et quand il piochera dans ma tête pour faire son marché, il se fera piéger par la pureté de mes pensées. Enfin, j'espère que ce que je pense à l'instant ne transparaîtra pas chez mon personnage. Je pourrais, peut-être en prendre un, ayant de bonnes qualités, genre Jesus, Gandhi, Mahomet, mais ils sont déjà tellement vendus ceux là, qu'il est difficile d'avoir quelque chose d'original à écrire sur leurs comptes (en banque). Non, le mien devra ête un quidam pas connu et qui ne demande pas à l'être. Ce pourrait être un saint, mais pas canonisé. Un héros dont le prénom ne serait pas dans un calendrier. Hors du temps en quelque sorte. Comme ça, on ne fêterait, ni l'anniversaire de sa naissance ni celui de sa mort. Un éternel sans origine et sans avenir. Un personnage uniquement présent qui n'existerait que de lignes en lignes, de mots en pages, de pensées en écrits. Page 327, revenez à la page 8, chapitre 2...( Aparté : ce passage c'est pour troubler le lecteur de ma pensée. Il va s'imaginer que l'histoire est déjà écrite et ne va rien comprendre. En effet, comment à la page 3 je peux faire référence à la page 327, et ainsi de suite. Pas mal ce dispositif, je le réemploierai) . Mon héros, qui ne sait pas qu'il en est un (c'est sa première qualité), mène sa vie banalement, du moins c'est ce qu'il croit, parce qu'on lui avait seriné pendant toute son enfance que son destin était tout tracé et déjà écrit par (...le Bon Dieu...). Erreur, erreur, rien pour l'instant ne laisse supposer ce que sera sa vie. Elle n'est même pas imaginée, alors son écriture n'en parlons pas... pas encore. Son histoire, c'est la rencontre aléatoire de milliers d'évènements qui n'ont pas eu lieu. Pourtant il a un avenir potentiel de devenir le personnage principal d'un roman que j'écrirai ou pas, ou bien le personnage d'un roman que l'autre écrira, c'est sûr. Je le sens derrière moi à m'observer. On dirait le présentateur du JT de 20 h qui fixe le prompteur et récite sa litanie. Lui, il ne dit rien, il tape sur son clavier, les yeux fixés sur ma nuque. Il faudra que je vérifie dans un miroir que je n'ai pas un écran derrière la tête. C'est peut- être cela, cette démangeaison depuis plusieurs jours. Une dernière main à la bibliographie et je boucle...( Aparté : c'est pour le perturber que j'écris cela, pour lui faire croire que j'en ai fini, alors que lui n'en est qu'au début. Ça va le déstabiliser, mais... je sens que ça me déstabilise aussi, il faut que je me méfie de mes réactions) .