Le shaman
Avec
tous
les
habitants
du
village,
enfants,
femmes,
vieillards
et
les
hommes,
j’étais
là
à
attendre
la
sortie
du
shaman
de
sa
hutte.
Elle
était
plus
petite
que
les
autres,
le
toit
penchait
légèrement
sur
notre
gauche,
les
branches
de
bois
qui
constituaient
les
murs
étaient
plus
noueux
que
celles
des
autres
huttes.
Le
temps
semblait
les
avoir
sculptées
de
la
sorte
pour
singulariser
la
hutte
du
shaman.
Depuis
le
plus
lointain
de
mon
enfance,
tout
ce
qui
avait
été
dit
sur
le
shaman
avait
installé
en
moi
une
sourde
crainte
quasi
permanente.
Si
les
adultes
s’écartaient
légèrement
de
leur
route
lorsqu’ils
passaient
devant
la
hutte
du
shaman,
nous
autres
enfants
l’évitions
largement,
et
tous
nos
jeux
avaient lieu à l’extrémité du village opposée à celle où habitait le shaman.
A
mon
âge
j’avais
déjà
participé
aux
fêtes
du
village,
à
plusieurs
campagnes
de
chasse
et
régulièrement
à
tous
les
travaux
agraires
et
de
cueillettes.
En
raison
de
ma
vélocité
et
de
mon
coup
d’œil
acéré,
j’étais
souvent
affecté
à
des
tâches
de
surveillance
et
de
repérage
du
gibier.
Toutefois
lors
d’une
partie
de
chasse,
j’étais
tellement
concentré
à
observer
la
savane,
que
je
n’avais
pas
entendu
un
lion
s’approcher
dans
mon
dos.
Sans
l’intervention
des
autres
chasseurs,
j’aurais
été
dévoré.
Dés
le
retour,
cette
mésaventure
fit
le tour du village et ma réputation en prit un sérieux coup.
On
entendit
un
bruit
violent
dans
la
hutte
du
shaman,
accompagné
de
grognements
rauques
et
de
hurlements,
précédé
du
bruit
de
chute
d’une
pile
de
vaisselle
et
de
pots.
Le
shaman
sortit
de
la
hutte
en
titubant.
Visiblement,
il
avait
largement
abusé
du
peyotl,
une
odeur
pestilentielle
l’accompagnait.
Lorsque
le
shaman
sent
la
mort
approcher,
il
choisit
un
enfant
de
la
tribu
qui
deviendra
son
disciple,
puis
son
successeur
après
le
passage
du
grand
Houda.
Le
grand
Houda
est
le
fossoyeur
des
forêts,
il
passe
régulièrement
retirer la vie aux corps des animaux usés.
La
réputation
du
shaman
était
abominable.
Il
vivait
reclus
dans
sa
hutte
à
longueur
de
journée
et
ne
sortait
que
de
temps
en
temps,
la
nuit,
pour
se
soulager
dans
la
forêt
et
y
ramasser
des
champignons
hallucinogènes.
Nous,
les
enfants,
en
avions
une
peur
bleue.
Il
nous
terrifiait,
et
l’idée
d’être
choisi
pour devenir son disciple nous faisait trembler et battre nos cœurs.
Le
shaman
atteignit
le
centre
du
cercle
que
constituait
les
membres
de
la
tribu.
Il
resta
immobile
plusieurs
secondes,
puis
brutalement
releva
la
tête
vers
le
ciel,
les
yeux
écarquillés,
les
pupilles
sombres,
poussa
un
long
cri
bestial
qui
fit
frissonner
tous
les
présents,
même
les
chasseurs
les
plus
expérimentés.
Alors
que
son
cri
s’éteignait
son
regard
plongea
dans
le
mien
telle
une
pointe
de
flèche
encore
rouge
de
la
forge
et
s’enfonça
jusqu’au
fond
de
mon
être.
Je
sentis
le
froid
du
fond
de
la
rivière
m’envahir,
puis
mes
jambes
céder
sous
moi,
mes
sphincters
se
relâcher
et
l’urine
couler
le
long
de
mes
cuisses.
La
terreur
était
si
intense
que
je
pensais
à
ce
moment
que
le
grand Houda venait me prendre, et les ténèbres m’enveloppèrent.
Je
me
redressais
d’un
coup,
j’étais
dans
l’obscurité,
quelques
rais
de
lumières
ponctuaient
l’espace.
Une
odeur
nauséabonde
me
submergea,
je
compris
que
j’étais
dans
la
hutte
du
shaman
et
d’un
coup
la
terreur
gicla
au
plus
profond
de
mes
chairs.
J’entendais
le
cri
d’une
bête
blessée
prise
au
piège,
comme
lorsque
les
chasseurs
sont
prêts
à
l’achever.
Je
perçu
que
ce
cri
d’agonie
sortait
de
ma
gorge.
Surpris
je
me
tus,
les
spasmes
de
mon
corps
diminuèrent progressivement.
Epuisé,
je
retombais
allongé
sur
le
dos,
la
bouche
sèche.
Je
ne
sais
combien
de
fois
les
tremblements
reprirent,
puis
se
calmèrent.
Je
m’endormis.
A
mon
réveil,
je
sus
que
le
chaman
était
près
de
moi,
je
n'osais
bouger.
Des
relents
d’urine,
de
vieilles
sueurs
mélangés
à
des
odeurs
d'excréments
et
de
chairs
pourries
m’assaillaient.
Je
sentis
sa
main
glisser
sous
mon
crâne
et
me
redresser
alors
qu'un
récipient
aux
formes
indéterminées
vint
se
coller
à
mes
lèvres.
Je
bus
avec
avidité
une
eau
tiède
et
acidulée
et
sentait
glisser
entre
ma
langue
et
mon
palais
des
nodules
d'origine
incertaine.
Malgré
cela
la
soif
s'étancha,
et
je
retrouvais
un
semblant
de
sérénité
bien
qu’au
fond
de
mes
tripes
l'angoisse
persistait.
Plusieurs
heures
ou
plusieurs
jours
passèrent
pendant
lesquelles
je
dormais
ou
bien
lorsque
j'étais
éveillé
le
chaman
était
à
côté
de
moi.
Bien
que
ma
vision
fut
accoutumée
à
l’obscurité,
je
ne
voyais
qu'une
silhouette
qui
parfois
s'interposait
entre
les
rayons
de
lumière
qui
émergeaient
des
quelques
interstices
des
branches,
feuilles
et
planches
qui
constituaient la paroi de la hutte.
A
mon
chevet,
il
marmonnait
des
embryons
de
mots
qui
faisaient
ressembler
son
langage
à
une
succession
de
grognements,
éructations
et
sifflements.
Aucun
doute
pour
moi
qu'il
s'agissait
du
langage
magique
que
les
esprits
de
la
Terre
utilisaient
pour
communiquer.
J’étais
entre
les
mains
ou
les
griffes
de
l'un d'entre eux. La terreur me reprit, je m'endormis d'épuisement.
A
mon
réveil,
il
était
là,
prés
de
moi,
je
percevais
son
odeur,
je
voyais
sa
silhouette
casser
les
filets
de
lumière.
Ses
genoux
appuyés
contre
mon
flanc,
il
était
penché
sur
moi.
Son
haleine
créait
un
masque
pestilentiel
sur
mon
visage.
De
la
main,
il
souleva
ma
tête
tandis
qu'il
introduisait
une
cuillère
au
bois
dans
ma
bouche.
L'épuisement
était
tel
que
je
ne
résistais
pas.
Une
bouillie
acre
coula
dans
ma
gorge.
Je
perdis
toutes
les
sensations
de
ma
bouche.
Alors
que
j'allais
vomir,
il
me
fit
boire
un
liquide
sans
saveur,
qui
me
confirma que j’avais définitivement perdu le sens du goût.
Alors
que
je
percevais
l’intérieur
de
la
hutte
dans
la
pénombre,
j’entendis
comme
une
rumeur
grandissante
dans
laquelle
se
mêlaient
les
explosions
du
bois
qui
craquait,
la
dilatation
arthritique
des
pierres,
le
frôlement
crispant
des animaux souterrains dans leurs galeries.
La
rumeur
devint
bruit
de
foule
des
habitants
de
la
forêt,
mais
aussi
de
la
forêt
même,
et
des
habitants
du
village.
Au
travers
des
halètements
amoureux,
des
gémissements
du
plaisir
je
devenais
témoin
involontaire
de
l’intimité
de
mes
congénères.
Je
vivais
les
douleurs
préliminaires
à
la
mort.
La
moindre
vibration
de
vie
s’ajoutait
aux
autres
et
m’assaillait
dans
une
cacophonie
grandissante.
Je
me
bouchais
les
oreilles
espérant
ainsi
échapper
à
cette
tempête
de
perceptions.
Je
ressentis
quelque
répit,
je
m’aperçus
aussi
que
si
je
me
concentrais
sur
un
son
ce
que
je
prenais
pour
du
bruit
était
la
somme
de
tous
les
sons
que
je
percevais
en
même
temps.
Après
quelques
essais,
je
pus
en
sélectionner
quelques
uns
et
en
trouver
l'origine,
bien que d'autres me parurent étranges et me restaient totalement inconnus.
J’étais
épuisé,
m’endormis
plusieurs
fois
pendant
cette
période,
mais
à
chaque
réveil
je
ressentais
de
l’amusement
à
voyager
au
milieu
de
ce
tumulte
et
à
explorer
profondément
chaque
son.
J’allais
du
plus
ténu
déplacement
d'air
provoqué
par
un
papillon
au
grondement
titanesque
d'une
charge
d’éléphants.
Je
me
reposais
à
ressentir
le
bruissement
de
la
rivière
sur
les
roches
de
fond
et
me
gavais
des
milliards
de
chocs
des
gouttes
d’au
de
la
grande
cataracte.
Mon
univers
n’était
plus
que
grondements,
reptations,
bruissements,
hurlements,
miaulements,
jacasseries,
paroles.
L’ouïe,
mon
sens
le
moins
développé,
était
devenu
dix
fois
supérieur
aux
autres.
La
nuit
venue,
je
décidais
de
sortir
de
la
hutte.
La
fraîcheur
de
la
nuit
et
la
multitude
des
bruits
venant
de
tous
côtés
me
surprit.
Je
restais
sur
le
seuil
abasourdi.
Je
perçu
un
glissement
dans
mon
dos,
je
me
retournai
et,
à
la
lumière
de
la
lune,
vis
le
shaman,
la
bouche
orpheline
de
dents,
entrouverte
dans
un
sourire.
Ayant
retrouvé
quelques
forces,
je
me
redressai
et
pris
le
sentier qui conduisait à la rivière
J'entendais
dans
les
huttes
les
respirations
calmes
ou
oppressées
des
dormeurs,
le
crissement
des
couches
de
feuilles
séchées,
les
borborygmes
des
rêveurs.
J’entrepris
de
traverser
la
savane,
là,
je
fus
surpris
du
combat
sonore
qui
opposait
un
grand
fauve
avec
sa
proie.
Les
« stong »
des
sabots
frappant
la
terre,
s’associaient
aux
« ran »
profond
de
gorge
et
aux
« fizz »
des
cormes
effilées
qui
fendaient
l’air.
Le
raclement
aigu
des
articulations
compressées
par
les
muscles,
le
claquement
sec
des
tendons
de
mâchoires,
la
pénétration
sifflante
des
griffes
dans
le
cuir
me
tendaient
au
point
d'entraver ma marche.
J’arrivais
près
de
la
rivière,
transpirant,
les
muscles
douloureux
de
cette
tension.
Les
lueurs
de
l’aube
frôlaient
déjà
l'horizon,
les
bruits
de
la
nuit
se
calmaient.
Un
doux
silence
s'étendait
autour
de
moi,
la
nature
m'accordait
un
répit.
**********
Ils
arrivèrent
par
l'est.
Le
temps
que
je
perçoive
des
bruits
étranges,
ils
étaient
là.
Leurs
voix
grinçaient
comme
leurs
vêtements,
leurs
véhicules
n’en
finissaient pas d’agoniser à chaque instant et repartaient l’instant d’après.
Ils
nous
apportaient
la
civilisation,
disaient-ils.
Ils
nous
emmenèrent
loin
de
notre
village
dans
d'autres
huttes
que
nous
n’avions
pas
construit
nous-
mêmes.
Les
bruits
de
la
nature
avaient
disparus,
à
la
place
je
percevais
des
vagues
sonores
qui
se
répétaient
sans
cesse,
grondements
sans
origine,
crissements interminables, appels et hurlements continus.
Je
fus
mis
à
l'école
mais
ne
pus
m’adapter,
les
sollicitations
sonores
permanentes
m’empêchaient
d'étudier.
Je
devins
agressif
et
tuais
deux
élèves.
On
m’enferma
dans
une
prison
aux
murs
blancs
et
capitonnés.
J'avais
enfin trouvé la paix.
J’aime
le
cliquetis
léger
des
clés
du
gardien,
les
hurlements
d’animaux
des
autres pensionnaires qui me rappellent la vie de la forêt.
Au
delà
des
crêtes
visibles
de
la
fenêtre
de
ma
cellule,
je
vois
le
désert
et
entend
la
vie
souterraine
qui
l’habite.
Maintenant,
j’observe
le
mur
d’enceinte
et
mémorise
chaque
anfractuosité,
chaque
éperon
auxquels
je
m'agripperai
cette nuit lors de mon évasion.
Puis j’irai me reposer dans le silence du désert.